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Sr. Clara de San José : « La spiritualité de Marie Poussepin: Accompagnement des et/ou entre les sœurs »

on 21 Avr, 2020
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Par SR. CLARA DE SAN JOSÉ (COLOMBIE).- Faire une relecture de la Spiritualité et du Charisme de Marie Poussepin aujourd’hui, à partir du thème : L’accompagnement des sœurs et des sœurs entre elles. 

C’est nous approcher de la vitalité et de l’expérience de la Congrégation avec des yeux capables de voir plus loin et de palper dans le récit et la biographie de chaque sœur, la vie découverte et savourée. Relire, c’est se retrouver dans la vie narrée, où je ne suis plus la même, parce que les expériences et l’apprentissage vécus au long des années, me permettent de voir avec des yeux nouveaux et me permettent aussi de laisser les autres relire ma vie et me conter combien j’ai changé.

L’accompagnement comprend de multiples dimensions de l’être humain, mais je veux m’arrêter seulement sur deux d’entre elles qui me paraissent fondamentales et indispensables dans notre vie : Accompagner par la formation à la responsabilité personnelle et accompagner par la formation en vue d’une réponse libre, consciente et engagée.

1. Accompagner par la formation à la responsabilité personnelle, c’est stimuler la personne à se prendre elle-même en charge ainsi que la construction de son propre projet de vie

Se prendre en charge d’elle-même, quant à la possibilité d’arriver à être ce qu’elle sait être et ce qu’elle choisit d’être, implique la capacité de se connaître et de s’obstiner à y réussir. Se connaître, quant à s’accueillir, se charger de soi-même, s’assumer, sans fuir ; cela est en premier lieu, réponse à la confiance apprise dans le foyer depuis l’enfance, et réimplantée dans la communauté, étant donné que celle-ci est le lieu de la rencontre avec soi-même, ensemble avec les autres personnes, autour de la « demande sur le sens de la vie » et la place que Jésus y occupe.

Mais non seulement la demande tourne sur soi-même, mais aussi sur les autres, la nature, l’histoire et la recherche de la Transcendance.

A mesure que la personne avance dans le développement de ses capacités pour agir, elle gagne en identité, singularité, possession d’elle-même, autodétermination, c’est-à-dire développement de sa personnalité. Elle évite de se fusionner avec l’autre, de diluer son propre moi, elle conquiert son identité propre, se retrouve avec elle-même, réussissant à vivre une plus grande coïncidence pour juger, choisir et agir, conformément à ce qu’elle essaie d’être. Il ne faut pas oublier de prendre en compte que ce n’est qu’en nous donnant la possibilité d’agir, que le potentiel de décision se réalisera et que la capacité se consolidera.

Celui qui accompagne est le garant des conditions, contextes et processus qui permettront à l’autre de devenir authentique et distinct des autres, de se maintenir enraciné dans le monde, et en même temps de dépasser les limites, les barrières et les intérêts que l’on peut chosifier. Mais, c’est dans le mystère, dans l’indicible, dans ce qui est inclassable, dans l’incomparable, là où git le noyau de la responsabilité, la dynamique de la personnalité, c’est tout cela qui rend possible l’accompagnement de ce passage de l’enfance à la responsabilité de l’adulte : « Quand j’étais enfant les autres raisonnaient, pensaient et parlaient pour moi » (1 Cor. 13, 11). Gagner en autonomie motive, rend effective la pensée critique, par un sens éthique et une sensibilité sociale, permet de dépasser le cordon ombilical, de se défaire du regard des autres et d’agir en adulte.

Marie Poussepin, « …recueillit deux orphelines du lieu. De Dourdan, elle emmena aussi avec elle sa cousine Agnès Revers… », (B. Préteseille, p. 72). Elle les accompagne dans ce processus, lent, simple, patient… se fait garante des conditions et contextes qu’elles vivent et qu’elle connaît ; elle entreprend des processus qui permettront aux jeunes d’être vraies et distinctes des autres, d’être agents de leur propre histoire, d’aimer leurs racines, de dépasser les limites et barrières qui peuvent les arrêter. Son programme pédagogique surpasse celui de l’Ordonnance de Louis XIV… en plus du catéchisme, de la lecture, de l’écriture, de l’arithmétique… elle ajoute une formation professionnelle : « leur montrant et leur enseignant à faire, grâce au tissage, des bas et autres œuvres de soie et de laine » … (B. Préteseille, p 86). Tout est assimilé et en 1697, déjà deux sœurs sont envoyées à l’Hôpital de Janville, qui vient de se réorganiser. Dans cet accompagnement elle découvre le noyau de la responsabilité qui rend possible le passage de l’enfance à la responsabilité de l’adulte.

2. Accompagner la formation pour une réponse libre, consciente et engagée vis-à-vis de Jésus

Face au « mystère de l’autre », la « parole de l’autre » surgit comme révélation, comme vocation, comme capacité de réponse autonome, vitale, libre et délibérée, (Fr. J.J. Sedano G, 1996, p.p. 20-21). Devant cette réalité, celui qui accompagne, enseigne à étudier multiples réalisations, à rechercher les sens, à enquêter par la vérité qui émerge, à faire coïncider la vie propre avec la propre finalité, à identifier la vocation propre.

Marie Poussepin, par sa fine intuition, « se propose d’établir avec quelques jeunes filles pauvres du lieu, une ‘communauté du Tiers Ordre de Saint Dominique ‘… » (C.I.P. p. 11) ; elle repère les jeunes filles qui l’accompagneront dans la mission d’annoncer et de révéler Jésus-Christ, imitant sa vie. Elle voit comment la vocation, s’exprime au commencement par une inquiétude, un désir d’être qui interroge intérieurement, s’aiguise au contact de la souffrance avec la réalité de Sainville, résonne dans l’intimité de la conscience et défie à décider d’une manière personnelle.

Au cœur de cette réalité personnelle, l’engagement avec les autres, avec les sœurs, est un apprentissage. Apprendre à répondre, en se donnant, en se responsabilisant de manière interpersonnelle de l’engagement pris avec la vie même, et avec la vie des autres, en réciprocité et correspondance, : Puis-je moi compter sur toi ? Puis-je me confier à toi ? …  est la base de l’accompagnement entre égaux. C’est un chemin indispensable dans la construction de la sécurité intérieure, nécessaire pour arriver à la maturité affective et interpersonnelle. Le don sincère de soi-même aux autres, est un chemin de progrès dans la maturation de la personne et il s’exprime avec les autres, avec soi-même, avec la réalité et avec Dieu. C’est pourquoi, Marie Poussepin veut que sa Communauté soit fondée en Christ, que les relations fraternelles approfondissent ce qui unit et que s’expérimente la nécessité de chacune des sœurs à pouvoir être elle-même.

Cet engagement va au-delà : il s’agit de répondre aux besoins de la réalité du moment : guerre, faim, épidémies, ignorance, maladie, c’est la rencontre avec le culturel, avec la nature, avec les autres, avec l’expérience d’ouverture vers eux et vers Dieu. C’est le moment du service de charité vécu.

Elle accompagne ensuite le processus d’apprendre à décider, d’enseigner à s’engager, se compromettant en passant de l’indécision à l’option et à l’action. « Appelées à suivre le Christ dans le don total de notre être… pour vivre et mourir au service de l’Eglise, dans l’exercice de la charité » (C 1) Réponse engagée qui demande à être accompagnée tout au long de la vie.

JÉSUS ACCOMPAGNATEUR 

Il accompagne ses disciples : Chacun en personne ; Il les choisit pour vivre avec Lui ; ce sont des hommes profondément différents ; Il agit avec eux, comme le Père le fait avec Lui (cf. Jn.10, 14-15). Il établit des contacts personnels, intimes ; Il part de ce qu’ils sont, pour les amener à une croissance et une communion plus profonde. Il forme avec eux une communauté, et l’essentiel de la vie du groupe est « d’être avec Lui » (cf. Mc. 3, 13), être ses compagnons, ses amis… Il met en eux sa confiance et provoque la réponse. Ainsi Il leur confie sa mission : proclamer la Bonne Nouvelle. Il accompagne leur formation humaine et alors surgit la personne.

Jésus accompagne, dans la recherche de la Volonté du Père : Un temps pour tout et chaque chose en son temps : le temps de Jésus, c’est le temps nouveau, expérimenté par Lui, le temps de l’accompagnement et du témoignage évangélique.

Dans l’expérience d’une « parole nouvelle » qui Le signale comme « Le Fils, le Bien-Aimé du Père qui lui a tout confié », (Mc. 1, 9-11), Il perçoit, par le discernement, que la « volonté du Père » c’est que les exclus, les impurs, les souffrants, occupent dorénavant le centre de sa prédication et de son témoignage. Il se consacrera tout entier à ce qu’à travers lui, ils expérimentent la présence proche, libératrice, transformatrice du Père.

De cette expérience, surgit la disponibilité pour l’accompagnement : Accompagnement comme accueil qui reconnaît et guérit. Jésus ouvre une maison d’accueil et d’inclusion sociale (Mc. 1, 21 et 35), un lieu connu par tous comme la « maison » de Jésus, dans laquelle il prêche et soigne, (Mc. 2. 1-12), signes clairs d’un accompagnement qui rend égaux, soigne et ouvre les portes. Le chemin de l’accompagnement ouvre la communauté aux autres, ce qui est indispensable dans la recherche de soi-même ; l’ouverture au dialogue, au pardon et à la gratitude sont les conditions indispensables pour construire « foyer », communauté.

Il accompagne en vue de la conversion, dans la recherche de ce que Dieu veut pour chacun de nous. Les gens découvrent en Jésus, une réponse cohérente à leurs espoirs, c’est pourquoi ils le suivent, (Mc 6, 2-3) et expérimentent le pouvoir transformateur et de compassion du Père (Mt, 18, 5-10). Il les enseigne et leur montre le chemin pour arriver au Père. Sa position est claire et ferme, quand il s’agit de la volonté du Père.

Marie Poussepin adhère à la personne de Jésus. Lui, est au centre de son existence. Lui est son accompagnateur et avec Lui et Marie, elle découvre la grâce d’être : « l’ouvrière de la Providence ».

MARIE POUSSEPIN ACCOMPAGNE 

Ce qui se vit aujourd’hui dans le monde en de nombreux lieux d’exclusion, à son époque Jésus l’a vécu, de même que Marie Poussepin, en conséquence de la Fronde : la pauvreté réelle. A mesure qu’elle avance et murit en âge, elle cherche à étancher sa soif, en assumant l’existence selon la radicalité de l’évangile et ne donne pas lieu à ce que l’individualisme, s’impose face à l’exigence de la suite de Jésus. A partir de sa vie, elle accompagne par la solidarité, dans l’effort constant pour que ses sœurs soient à la fois dans le don gratuit entre elles et les gens du village.

Dans la Congrégation on choisit Jésus, pour vivre la même vie que celle des apôtres, pour être trouvées par Lui : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis pour que vous partiez et donniez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). Accompagner c’est aussi désigner « voici l’agneau de Dieu… » (Jn. 1,36) et céder la place (cf. Jn. 1,37). Le récit de Jn1, 35-42, rend ceci palpable ; en plus de montrer le chemin, il leur permet de suivre Jésus et de rester avec Lui…   Marie Poussepin invite ses sœurs à faire communauté autour du Seigneur. Avant de faire le choix de le suivre, il les avertit des difficultés, du style de vie et des exigences, des risques possibles, de la foi nécessaire pour l’adhésion et pour en assumer les conséquences, (Jn 8, 12 ; 10, 4 ; 12, 26 ; 13, 36). Cependant, c’est insuffisant de le suivre, encore faut-il adhérer à lui d’une manière fiable (Jn 2, 23-25). Avec la demande « où habites-tu », les disciples et les sœurs, expriment le désir de demeurer dans l’intimité près de Jésus, selon le style de vie, élaboré par Marie Poussepin.

Bien qu’elle ait une maison en « Capharnaüm », les frontières de son œuvre débordent celles de Sainville, (Mt 8, 20). L’apostolat de la charité se déploie dans le monde entier, s’étend vers ceux de bonne volonté (Mt 2, 50). Là où il est nécessaire de témoigner du Royaume, là est le lieu de la Congrégation et l’accompagnement par le témoignage, (Lc 2, 49).

Beaucoup de moments de prière et d’incertitude précèdent les décisions de Marie Poussepin au moment de quitter Dourdan, pour se consacrer entièrement, avec ses sœurs, à la dignité des plus pauvres. Vivre radicalement l’Evangile pour arriver à être Bonne Nouvelle, pour donner à la vie un futur, prometteur, la possibilité de se transformer et de transformer (Is 40, 9 ; 52, 7 ; Mc 1, 11-14). Elle accompagne la construction d’une communauté accueillante et joyeuse, (Lc 11, 5-8 ; 12, 42-46 ; Lc 15, 11-32), la Maison, la communauté, le temple (Mc 14,52) de la rencontre des sœurs, des personnes qui entrent en relation par le moyen du service, de la solidarité et du pardon, fondé sur la Filiation commune avec Jésus (Jn 18,36).

RÉFLEXION PERSONNELLE  

  • Confronte avec ta vie personnelle le sens anthropologique de l’accompagnement présenté par le texte. 
  • Quelles sont les clés, dans l’expérience de l’accompagnement que t’offrent Jésus et Marie Poussepin, dans la manière d’accompagner et d’être accompagnée ? 
  • A partir du texte, comment découvres-tu ta communauté locale dans l’expérience de l’accompagnement ?

 Références Bibliographiques