Sr. Blanca Aurora Marín : « La charité créative de Marie Poussepin »

on 18 Mar, 2020
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Par SR. BLANCA AURORA MARÍN HOYOS (Colombie).- Parler de la Charité créative de Marie Poussepin nous invite à regarder les Règles générales et les Règlements de Sainville, dans lesquels nous trouvons la dimension évangélique de son service de Charité, son témoignage et son héritage à la Congrégation. 
 

La dimension évangélique

Dans son enfance et surtout dans sa jeunesse, la vie de Marie Poussepin s'est distinguée par sa vie de prière et son amour des pauvres ; une expérience qui a progressivement unifié sa vie dans la Foi, l'Espérance et la Charité.

Sa Charité a sa source dans l'amour de Dieu ; elle se nourrit de la prière, de l'étude et de la contemplation de la Parole et ne cherche que la gloire de Dieu et le bien du prochain. Elle attend tout de Dieu et toutes ses actions sont faites dans un désir sincère de plaire à Dieu[1]. La clé de sa compassion réside dans sa relation d'amour, l'amitié et l'intimité avec le Seigneur, qui la renouvelle et l'encourage à aller à la rencontre de son frère dans le besoin et à lui apporter son amour et sa miséricorde. Marie Poussepin reste unie à Dieu et c'est pourquoi sa prédication devient une bonne nouvelle pour les pauvres et les malades de Sainville.

L'amour de Dieu, pratiqué dans les œuvres de miséricorde, spirituelles et corporelles, envers le prochain, est la caractéristique de sa physionomie spirituelle. Lors de sa Béatification, l'Église a reconnu l'héroïsme de ses vertus et l'a déclarée "Apôtre social de la charité"[2].

Son témoignage de la Charité

Le foyer a été pour Marie Poussepin sa première école, qui l'a initiée au "service de la Charité". Depuis son enfance, elle s'est engagée dans ce ministère avec sa mère et s'y affirme de plus en plus par le service aux plus pauvres et aux plus malades, la lecture assidue de la Parole de Dieu, la prière et la contemplation, qui lui permettent de trouver de nouvelles voies et de nouvelles formes d'expression.

Dans son cheminement spirituel, elle découvre que la Charité a toujours en point de mire Dieu et les frères. Ce mouvement vers Dieu et vers les frères maintient tout au long de sa vie la dynamique du service et la fidélité du dévouement. Son amour pour Dieu s'est manifesté dans l'observance exacte des commandements, dans la pratique des conseils évangéliques, dans son union continue avec Dieu et dans le fait de vivre aussi exactement que possible les maximes de l'Évangile : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute tes forces" et "Tu aimeras ton prochain comme toi-même[3]" ; Charité qui s'exprime dans l'amour des frères, par la rencontre, l'accueil, la solidarité et le don d’elle-même.

Sa compassion suit le style que Jésus a enseigné dans la parabole du Bon Samaritain : un amour désintéressé et inconditionnel, qui accueille chaque personne et se fait proche au-delà de toutes les différences culturelles, sociales ou religieuses. Son service n'exclut personne, mais les pauvres ont sa préférence et sa sollicitude : "N'ayez pas moins d'amour pour les pauvres que pour les riches", "aimez d'abord ceux qui sont le plus dans le besoin"[4]. Tout au long de sa vie, la Charité a été le secret de son dévouement, la raison d'être de son Institut, la force de son apostolat et la raison de ses préoccupations.

La charité chez Marie Poussepin a quelques notes caractéristiques : La gratuité, telle qu’elle l’a vécue et recommandée à ses sœurs[5], est source de renouveau, de changement et de transformation sociale, comme à Dourdan; c'est un moyen de rencontrer les pauvres et de rejoindre les malades et les abandonnés, comme à Sainville ; c'est un facteur de promotion humaine et de développement social, par l'éducation et la formation au travail ; la Charité se vit au cœur du monde, avec toute la richesse et la force de l'expérience de l'amour de Dieu, de la vie fraternelle en communauté et du dévouement à la mission, comme en témoigne l'expansion missionnaire de sa communauté.

Le service de la Charité envers les malades, les pauvres et les nécessiteux, l'éducation des jeunes et la prédication de l'Évangile font partie de l'essence de sa charité, ils sont mutuellement impliqués et ne peuvent être séparés.

Le retour à Sainville n'est pas simplement une question d'histoire, mais il nous permet d'avoir le meilleur des témoignages, à notre portée, pour entrer dans la créativité de la Charité.

Comment vivons-nous aujourd'hui, au niveau personnel et communautaire, ce sens évangélique de la gratuité ?

 

Héritage à la Congrégation

Pour donner un élan nouveau à la Charité, en cette Année de Grâce, pour sa Béatification, il est nécessaire de revenir aux enseignements que nous a laissés cet "Apôtre social de la Charité" :

On vient chez Marie Poussepin "pour vivre et mourir dans l'exercice de la Charité"[6]. Charité qui ne se limite pas à une façon de travailler, mais qui configure une nouvelle façon d'être, de vivre, de se rendre disponible pour la mission et qui se vit par des actions concrètes dans la vie quotidienne.

La charité s'enseigne plus par les actes que par les mots, elle doit être "l'âme de la Communauté" et elle est réglée sur celle que Jésus-Christ a pour les hommes et les femmes et non sur la base de la parenté ou de l'affinité [7].

La Charité chez Marie Poussepin est ordonnée, pratique, généreuse, dépouillée, nourrie dans la rencontre avec le Christ, nourrie dans la contemplation, apprise dans l'Évangile et vécue dans la vie fraternelle et apostolique[8]. L'intensité de la contemplation est directement liée à la proclamation de la parole et au service de la charité [9].

La charité doit assurer l'unité des sœurs entre elles[10] et les conduire à la cordialité, à l'affabilité, à l'attention réciproque, elle les incitera à toujours juger favorablement les actions des autres ou à excuser l'intention, lorsqu'elles ne peuvent justifier leurs actes. Elle leur donnera également le courage de la correction fraternelle et de l'annonce du Christ par des gestes de fraternité et de charité évangélique [11].

Les malades, les pauvres, les faibles, les marginaux, les déplacés... sont les moyens par lesquels la voix du Christ est entendue : "C'est à moi que vous l’avez fait "[12]. Sa Charité n'exclut personne ; elle aime le travail ; elle est souple et capable de rompre avec les schémas établis ; elle ose prendre de nouvelles voies et transcender les frontières ; elle est sensible aux problèmes des autres et ouverte au monde et aux nouveaux appels.

Comment avancer dans cette direction qui renouvelle la créativité de la Charité, au niveau personnel, provincial et congrégationnel ?

 

L'Église, à différents moments, nous exhorte à "investir dans la créativité de la Charité". Saint Jean Paul II invite les instituts à reproduire, avec courage, l'audace, la créativité et la sainteté de leurs fondateurs et fondatrices, à donner vie à de nouvelles manières de mettre en œuvre le charisme, à de nouvelles initiatives et formes de charité apostolique [13]. Et le Pape François, en l'Année de la Vie Consacrée (2014), a insisté pour que nous n'ayons pas peur d'abandonner les "vieilles outres", c'est-à-dire de renouveler les structures qui nous donnent une fausse protection et qui conditionnent le dynamisme de la Charité.

En harmonie avec les appels de l'Église et contribuant à son renouvellement même, le 55ème Chapitre Général a réaffirmé : "vivre la prédication de l'Évangile, par le service de la Charité, dans la rencontre avec tout homme et toute femme, avec lesquels nous partageons le chemin". Et il a demandé "d'aller à la rencontre des derniers et des exclus, d'écouter Dieu dans les cris des migrants, des indigènes et des « afros », des femmes, des pauvres, des prisonniers, des malades, des personnes âgées et des jeunes, de l'écologie intégrale, de répondre avec créativité aux nouvelles formes de pauvreté du XXIème siècle et de mener des processus de transformation intégrale des groupes vulnérables, vers la réalisation d'une vie digne Il nous invite à prendre en compte que la méthodologie et les actions peuvent et doivent changer, en s'adaptant au temps, à la culture et aux besoins des hommes et des femmes d'aujourd'hui, et que l'impact évangélique doit se perpétuer, transformant la réalité et rendant le Royaume de Dieu présent.

Les circonstances historiques et les diverses situations humaines sont des interpellations de l'amour de Dieu dans le temps, qui demandent la créativité et la force de notre service de Charité.

Multiples sont les urgences et les appels du monde, devant nous ne pouvons rester insensibles.

Où pouvons-nous concrètement contempler le visage du Christ et comment atteindre les différentes pauvretés du monde actuel par notre service de Charité ?

 

La Charité du Christ nous presse. 2 Cor 5, 14

Beaucoup de choses seront nécessaires pour revitaliser le charisme ; mais si la Charité (agapè) faisait défaut, tout serait inutile. L'apôtre Paul nous le rappelle dans l’Hymne à la Charité : "Même si nous parlons les langues des hommes et des anges et que nous avons une foi qui déplace les montagnes, si nous manquons de charité, tout ne sera rien[14].

Parier sur la Charité nous demande de tourner notre regard vers l'audace de la Charité de Marie Poussepin et de nos sœurs, qui tout au long de ces trois siècles, en risquant tout, ont ouvert de nouvelles voies à l'annonce de l'Évangile et au service de la Charité. Une Charité qui, aujourd'hui peut-être, exige une plus grande créativité et une réorientation de ses actions à la lumière des problèmes et des besoins actuels du monde.

Le pape François, dans Evangelium Gaudium, souligne trois éléments pour l'audace de la charité :

  • Une spiritualité de communion qui nous met au défi "d'imaginer des espaces de prière et de communion avec des caractéristiques nouvelles, plus attrayantes et plus significatives. Il faut une évangélisation qui éclaire les nouvelles manières de se mettre en relation avec Dieu, avec les autres et avec l'espace, et qui suscite les valeurs fondamentales". NO. 73-74.
  • L'insertion dans la réalité à laquelle nous sommes poussées, suppose une spiritualité, une étude et une contemplation, qui aident à surmonter les tentations qui bloquent l'audace de la Charité : l'individualisme, la crise d'identité et une baisse de la ferveur. N° 78.
  • L’attention préférentielle pour les pauvres : "Le cœur de Dieu a une place préférentielle pour les pauvres, à tel point que Lui-même "s'est fait pauvre". "Ils ont beaucoup à nous apprendre". NO. 197-198.

Ce n'est que par l'audace de la Charité que nous serons témoins et prophètes de l'amour de Dieu dans notre monde. Sans oublier que la créativité de la Charité, à Sainville, est née d'un cœur centré sur Dieu, amoureux de Dieu et ferme dans l'amour de Dieu et du prochain.

La Charité sera toujours nécessaire, et le feu du charisme de Marie Poussepin est nécessaire à cette histoire ; cela est confirmé par les œuvres de charité qui, dans leurs expressions les plus variées, sont toujours vivantes sur les différents continents[15].

Que cette année, d'Action de Grâce au Seigneur et d'approfondissement du charisme, soit l'occasion de réaffirmer l'ardeur de la Charité dans la Congrégation, de boire à nouveau à la source du charisme et de se revitaliser dans l'esprit des origines.

Pour la Congrégation, c'est l'heure d’imaginer de nouvelles formes de Charité. Sachant que tout a besoin de changement et de différents points d'attention, selon le milieu, le pays et la culture.

Proposer deux stratégies qui pourraient nous aider à revitaliser le Charisme au niveau de la Congrégation, de la Province et de la communauté.

 

BIBLIOGRAPHIE

-      Jean-Paul II, "Franchir le seuil de l'espoir". 1995.

-      Benoît XVI, Lettre encyclique, Deus Caritas Est. 25 décembre 2005

-      Pape François, Lettre apostolique à toutes les personnes consacrées, à l'occasion de l'année de la vie consacrée. 2014.

-      Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, Repartir du Christ : un engagement renouvelé pour la vie consacrée au troisième millénaire. 2002.

-      Catéchisme de l'Église Catholique, 2ème édition. 1992.

-      Sœurs de Charité Dominicaines de la Présentation. Constitutions. L’intuition Première.

-      Marie Poussepin, Règles générales

-      Marie Poussepin, Règlement de Sainville.

-      Chapitre Général, "Marie Poussepin, Apôtre social de la Charité", 1994.

-      Gouvernement Général, "Notre histoire devient mission". 2019.


[1] Intuition première

[2] Cf. Cause de canonisation de la Servante de Dieu. Relation et votes du Congrès des théologiens, Votes VI, VII, 1991.

[3] Deut. 6,5 Lév. 19,18

[4] Marie Poussepin. Règles Générales

[5] Cf. R.XXVI

[6] Sœurs de Charité dominicaines de la Présentation, Constitution 1. 2010

[7] Règlements de Sainville II. 2 Pe 1,7.

[8] C 13

[9] IP

[10] Jn 17, 20-23

[11] Cf. R II

[12] Mt 25,40.45

[13] Jean-Paul II. Vita Consecrata N° 37

[14] Cf. 1 Co 13,2-7

[15] Gouvernement Général. « Notre histoire devient mission » 2019.