Sr. Anne Lécu : « La culture de la proximité et de la rencontre  »

on 09 Jui, 2020
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Par SR. ANNE LÉCU* (FRANCE).- Il m’a été demandé une réflexion sur « la culture de la proximité et de la rencontre » dans la vie et l’œuvre de Marie Poussepin. 
 

Je ne vais pas reprendre la vie de notre fondatrice que toutes nous connaissons, mais insister sur trois points, qui peuvent être trois occasions d’un travail personne, communautaire ou avec d’autres. Comme le disait le père Bonduelle, historien, lors du colloque organisé le 30 novembre 1994 à Tours à l’occasion de la Béatification :

« Marie Poussepin fonde une communauté dans une période critique de l’histoire de l’Église et de l’Occident en général. Cette période qu’on a décrite comme ‘‘la crise de la conscience européenne’’, remet en cause directement ou non, insidieusement ou plus clairement, les grandes certitudes des temps qui ont précédé. Je trouve significatif et très remarquable que Marie Poussepin à sa manière réponde à cette crise en allant au centre. C’est cela qui est le génie de la sainteté, d’aller au centre à une époque donnée. A son époque, la Bienheureuse comprend que le centre c’est la charité, la charité active, la charité intelligente, efficace et elle imagine, elle entrevoit, elle perçoit les enjeux que peuvent rencontrer des sœurs consacrées et actives. N’est-elle pas parvenue à cette perception en s’appuyant au départ sur le charisme de saint Dominique ? »

I. La charité en temps de crise 

Marie Poussepin va donc dès sa jeunesse, développer un talent pour la charité en temps de crise, à travers son génie professionnel comme à travers son engagement caritatif dans les Confréries de charité. L’urgence est de rejoindre les gens, d’être avec eux et comme eux. Elle a découvert que depuis le jardin de la Genèse, le nom de Dieu, c’est Emmanuel, « Dieu avec nous » : « Le Seigneur se promenait dans le jardin à la brise du jour » (Gn 3,8). Elle a lu l’évangile selon saint Jean et cette prière de Jésus : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde » (Jean 17, 24).

1) Être avec.

« Pas sans toi » dit Dieu à l’homme. Et le croyant qui a Dieu dans la peau, c’est celui qui à son tour dit à son frère, à sa sœur, « pas sans toi ». Ce « pas sans toi » est la décision de Dieu d’être avec nous de la crèche à la croix. C’est sur cette conviction que Marie Poussepin assoie son existence, et plus tard sa fondation. « Que jamais je ne sois séparé de toi », est la prière silencieuse du prêtre pendant la célébration de l’eucharistie. Mais par ricochet, c’est la prière de tous ceux qui veulent associer leurs proches à la bonne nouvelle de l’évangile. Marie va instituer des œuvres de charité qui signifient pour ceux et celles qui y participeront que nous ne sommes pas sauvés les uns sans les autres, et que le salut commence dans cette vie, quand elle devient plus digne et plus libre.

Le style de vie qu’elle choisit pour sa communauté est net : il sera sans clôture, et l’habit sera celui des paysannes, avec les couleurs de l’Ordre. Il s’agit « d’être avec » le peuple, comme Jésus fut avec son peuple, mêlé aux siens. Le premier prochain, c’est le Christ, et la première proximité est celle du Royaume de Dieu.

2) La notion de proximité dans l’évangile

à Proposition de temps de partage à partir de l’évangile de Luc 10, 1-11 : « Le royaume de Dieu est proche (eggizô) ». Quelle est cette proximité ?

Après cela, parmi les disciples le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : “Paix à cette maison.” S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : “Le règne de Dieu s’est approché de vous.” Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.” (Luc 10, 1-11)

Jean le baptiste le disait, et Jésus reprend l’expression : le royaume des cieux est proche (Mt 3,2). On pourrait traduire « la Royauté de Dieu s’est approchée » (Luc 10,9), ou encore interpréter : « la royauté de Dieu, c’est sa proximité ». C’est parce qu’il est proche de nous qu’il règne. Il ne règne pas par la puissance, mais par la proximité. Si la manière d’être de Dieu réside dans sa proximité (et c’était déjà le cas quand sa parole voyageait avec le peuple, abritée par l’arche d’alliance), une proximité vulnérable, vivre de sa vie ne peut se faire que dans la proximité.

Le passage de Luc 10 est important car il expose la manière d’être des disciples. Aller deux par deux, c’est signifier que la proximité de Dieu s’annonce dans la proximité que nous avons les uns avec les autres. La vie commune et l’attention à la plus proche sœur, qui n’est peut-être pas mon amie, signifie la proximité de Dieu envers tous. Cette proximité est avant tout légère, elle ne s’encombre pas d’une caravane d’objet ou de technique. Car dans la relation des uns avec les autres, ouverte à des tiers, que la paix s’annonce. Il s’agit ensuite de « rester là ». D’accepter d’être accueilli, car si Dieu nous a donné la grâce et la possibilité de l’accueillir parmi nous, c’est parce que donner la possibilité à un autre d’être accueillant est un cadeau.  Ce n’est qu’après être « resté là », à boire et manger ce que l’on nous sert, après être devenus « compagnons », que l’on peut prendre soin d’autrui, pour la finalité ultime du disciple : annoncer que dans cette proximité vécue ensemble, simplement, c’est d’abord et avant tout Dieu qui s’est approché, car sa royauté est sa proximité. Le plus paradoxal, est que même au cœur du refus – car cela peut arriver – cette annonce de la proximité de Dieu est faite (v. 11).

3) Par temps de crise

L’Église aujourd’hui traverse une tempête extrêmement sérieuse et aucun pays n’est indemne. Nous découvrons avec effroi qu’au nom de l’évangile des crimes sexuels et des abus d’autorité ont pu détruire des personnes durablement.

Il est notable que ce sont toujours des situations singulières qui n’ont pas retenu l’attention des autorités. Mais à terme, on découvre que ce ne sont pas des situations singulières mais bien un système d’aveuglement et d’abus qui a permis d’en arriver où nous sommes. La proximité requise avec nos contemporains se situe donc à deux niveaux : il nous faut entendre chaque situation douloureuse singulière, car la charité véritable n’existe que dans la singularité d’une rencontre, et en même temps, il nous faut comprendre le niveau systémique pour pouvoir agir. Quelle est la proximité requise en ce contexte ? De qui devons-nous nous faire le prochain, et comment ?

à Proposition de temps de partage à partir de l’évangile de Luc 10, 25-37 « Qui est mon prochain ? »

II. Une charité active

Marie Poussepin choisit de vivre une charité active. Elle invite ses sœurs et les personnes qu’elle côtoie à la mise en pratique concrète de la foi, persuadée que c’est ainsi que l’évangile sera annoncé. C’est pourquoi toute sa vie pourrait être résumée par les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles[1], en ce qu’elles sont indissociables les uns des autres. Cela, Marie l’inscrit avec force dans les Reglemens.

1) Les œuvres de miséricorde

Il est clair que l’œuvre de Marie Poussepin s’inscrit délibérément dans les œuvres de miséricorde, telles que nous avons pu les approfondir lors de l’année sainte de la miséricorde en 2015. La Position résume cela et renvoie aux Reglemens : Ainsi, les soins seront « corporels et spirituels envers les pauvres malades de la campagne ou des hôpitaux » (R. I, XXXVI, XXXVII), l’instruction pour les filles sera orientée vers la lecture, mais aussi les vérités de la religion et l’arithmétique (R. I et XXVII). (Annexe 1)

2) La question du salut : « Que vont devenir les pécheurs ? »

Ce qui sous-tend la pratique des œuvres de miséricorde est la question du salut. C’était précisément le cri de Dominique : « Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ? ». On retrouve un accent de cette même inquiétude dans les Reglemens au sujet de la réception des postulantes et des novices :

Comme c’est la charité qui doit être l’âme de la communauté, elle fera ouvrir la porte à toutes les personnes qui se retireront du monde, par le désir d’une sincère conversion. On ne fera distinction ni de pays ni de naissance ; mais on préfèrera celles qui auraient une meilleure volonté de se consacrer tout entières au service de Dieu, et parmi celles-là mêmes, les plus pauvres et celles qui sont dans un plus grand danger de leur salut, doivent voir la préférence. (R. XIV)

Au-delà de l’accueil de novices, il est probable que ce souci de celles et ceux « qui sont dans un plus grand danger de leur salut » fut pour Marie un axe majeur.

→ Cela peut nous conduire à une réflexion sur le salut.

Qu’est-ce qu’annoncer le salut aujourd’hui ? Il est bien clair que si la vie éternelle commence dès maintenant, le salut non plus n’est pas pour plus tard. Si l’urgence aujourd’hui est de nous situer en temps de crise pour l’Église, le salut n’est-il pas à penser comme une libération de tout ce qui enferme l’homme, la pauvreté, la solitude, les esclavages ? Un texte d’un auteur russe pourrait nous donner une piste nourrissante :

Non seulement les défunts doivent être délivrés de la mort et ressuscités, mais tous les êtres doivent être sauvés et libérés de l’enfer. L’ultime exigence de l’éthique se traduirait ainsi : - tends toutes les forces de ton esprit vers cette libération. Dans l’orientation de ton activité, ne crée l’enfer pour personne, ni dans ce monde ni dans l’autre. […] Ne te borne pas à ne pas créer l’enfer, mais détruis-le par tous les moyens. […] Les soi-disant « bons », tout autant que les soi-disant « méchants » auront à répondre devant Dieu ; mais nous avons des raisons de croire que ce jugement sera différent du jugement humain. […] Les « bons » auront à répondre d’avoir créé l’enfer, d’avoir été satisfaits de leur bien, d’avoir conféré un caractère élevé à leurs instincts vindicatifs, d’avoir été un obstacle au perfectionnement des « méchants » et de les avoir poussé, par leur jugement, sur la voie de la perdition. […] S’il ne m’est pas donné de savoir qu’il n’existera pas d’enfer, il m’est donné de savoir qu’il ne doit pas exister, que je dois, sans m’isoler, travailler à l’œuvre du salut universel[2].

→ Quels sont les enfers que nous avons à vider aujourd’hui ? Qui nous y attend ? Et avec qui pouvons-nous « travailler à l’œuvre du salut universel » ? Car ce n’est jamais une œuvre que l’on peut faire seul.

III. Une charité intelligente

Dans les Reglemens dès le chapitre premier, après le soin des malades isolés et l’éducation des filles, Marie Poussepin ose proposer quelque chose de tout à fait novateur et extrêmement pertinent pour le temps qui est le nôtre : « Des lectures et conférences familières pour les personnes plus avancées en âge sur les choses nécessaires au salut ».

1) Prêcher au féminin : « porter à tous la connaissance de Dieu et de ses mystères »

Marie Poussepin invite ses sœurs « à porter à tous la connaissance de Dieu et de ses mystères ». La prédication explicite est donc une authentique œuvre de charité concrète. C’est la communauté qui prêche et qui se forme pour cela. En effet, une des urgences de son temps et sans doute du nôtre, est de former l’esprit critique des sœurs, leur intelligence, leur raison. Les temps de crises sont toujours des temps dans lesquels l’irrationnel peut nous entrainer vers le pire. On le voit aujourd’hui avec les abus d’autorité dans des groupes qui ont confondu le domaine psychologique et le domaine spirituel. Une authentique formation spirituelle est donc finalement un devoir pour éviter de tomber dans ces dérives.

Il convient de relire ici le chapitre X des Reglemens. (cf. Annexe 2)

Il ne s’agit pas d’intellectualisme, mais de faire entendre l’évangile pour le mettre en pratique. Mais comment le mettre en pratique si on ne l’a pas entendu dans toute son épaisseur et dans la polyphonie de l’ensemble de la Bible ? Marie Poussepin pratique avec ses sœurs une prédication explicite et concrète. Et elle est crédible, puisque dans le même temps qu’elles prêchent, ses sœurs s’occupent des corps malades et des personnes souffrantes, elles s’occupent d’éduquer des jeunes filles à la liberté, non seulement par les travaux ménagers de l’époque, mais par la lecture et l’arithmétique. Marie Poussepin fait de la prédication une œuvre de charité.

L’enjeu est encore une fois la proximité : il s’agit de faire toucher de doigt la proximité de Dieu. L’Église est pour le monde, car le Christ est pour tous. Sa parole est pour tous, elle est un baume, une force, une puissance qui invite à agir en ce monde. Mais cette proximité de Dieu ne peut être perçue que la proximité de ceux qui se disent chrétiens.

L’histoire ne le dit, mais il se peut que Marie Poussepin se soit inspirée des épitres de Paul comme 2 Timothée 4, 1-5

Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Un temps viendra où les gens ne supporteront plus l’enseignement de la saine doctrine ; mais, au gré de leurs caprices, ils iront se chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau. Ils refuseront d’entendre la vérité pour se tourner vers des récits mythologiques. Mais toi, en toute chose garde la mesure, supporte la souffrance, fais ton travail d’évangélisateur, accomplis jusqu’au bout ton ministère.

→ Où la parole des femmes est-elle attendue ? Comment vivre les recommandations de Paul ?

Cet aspect de notre histoire exige de nous une sérieuse formation théologique, mais pas seulement. Notre fondatrice nous invite à la penser « avec d’autres », « pour d’autres », puisqu’elle a voulu que ce soit dans la proximité de la vie fraternelle que naissent ces conférences, dans la simplicité, « pour la gloire de Dieu et le bien du prochain ».

→ La place des femmes dans l’Église est une question que nous ne pouvons plus mettre sous le tapis. Elle se décline probablement différemment dans chacun des pays où nous sommes présentes. Comment là où nous sommes assumons nous cette question ?

2) Un juste exercice de l’autorité

Marie Poussepin s’était autorisée à changer l’orientation de son entreprise, pour la relancer en fabriquant des bas de laine, puis elle laisse l’entreprise en état de marche à son frère. Avec les sœurs qui la rejoigne, elle s’autorise à imaginer possible une vie religieuse dominicaine sans clôture. Dans les axes qu’elle dégage pour son institut naissant, elle n’a pas d’intuition exceptionnelle, elle se glisse dans les interstices laissés à l’abandon des pouvoirs publics, mais à l’intérieur de ces interstices, elle permet une forme de subversion de la parole, elle s’autorise et autorise ses sœurs à prêcher et ce, sans se mettre en avant. Elle exerce une forme d’autorité au sens où l’entend l’historien jésuite Michel de Certeau :

« L’autorité autorise.  Elle rend possible ce qui ne l’était pas. À ce titre, elle ‘‘permet’’ autre chose, à la manière dont un poème ou un film inaugure une perception qui n’eût pas été possible sans lui : après, on ne voit plus, on ne pense plus de la même façon. […] L’autorité produit de la différence, elle permet que s’opère un changement de regard, de mode de vie, de façon de penser… Elle […] se situe du côté des conditions de possibilité[3]. »

La proximité de Marie Poussepin, avec sa famille, à Dourdan puis à Sainville, n’est pas une proximité qui s’impose. Lorsque son frère décide de faire à nouveau payer la taxe d’apprentissage aux jeunes garçons de l’atelier, elle ne signe plus les contrats, mais reste là, puisque tous vivent chez elle. Lorsqu’elle héberge Marie Olivier, elle lui laisse son lit. Elle fonde avec d’autres son institut. Elle veut promouvoir le talent des autres, la générosité des autres. Elle nous laisse une sorte de portrait-robot de sœur de charité dominicaine que chacune de nous peut habiller avec ses propres vêtements et son génie propre. La question qu’elle nous laisse, c’est finalement comment l’évangile nous ouvre à une véritable liberté intérieure dans laquelle nous pouvons grandir et aider d’autres hommes et d’autres femmes à devenir libre ? Les œuvres de charité corporelles et spirituelles ne sont-elles pas toutes au service de la liberté que le Christ nous a promise ? Une liberté qui ne fait pas de bruit, mais qui se construit dans la proximité avec ceux qui sont nos proches, dans l’Église, dans la vie professionnelle ou associative, une liberté dans laquelle l’humilité n’a rien à voir avec la soumission.

« Elle a vu ce qui était bon aux yeux de Dieu et elle l’a accompli ».


*Sœur Anne Lecu est une sœur de la province de France. Elle travaille en tant que médecin à Fleury-Mérogis, une des plus grandes prisons d'Europe, à 10 km au sud de Paris, depuis 23 ans. Elle est philosophe, essayiste, et elle a écrit plusieurs livres traitant de sujets tels que la honte, la joie, la souffrance, l'innocence, la miséricorde de Dieu. Dans le livre « Tu as couvert ma honte » elle explique, avec des exemples de l'Écriture, que Dieu laisse nos mauvaises actions de côté parce qu’il n’est pas intéressé par nos offenses ; Il ne veut être en contact qu'avec la partie de nous faite à son image.  

Annexe 1. Reglemens 1

R. I. « Cette communauté est une assemblée de Filles unies ensemble pour se consacrer d’une manière particulière au service de Dieu et du Prochain. Leur fin est d’imiter par leur conduite, autant que le peuvent les personnes de leur sexe, la vie que Notre Seigneur a menée sur terre, et de marcher sur les traves de ces saintes personnes, qui appliquées au-dedans de leurs Maisons aux exercices de piété, se livraient au dehors à tout ce que la charité pouvait leur inspirer : c’est celle de toutes les vertus que Notre Seigneur nous a recommandée davantage et qu’il a pratiquée avec tant de soin, que toute sa vie en a été un exercice continuel. Son cœur adorable brûlait d’amour pour son Père et pour les hommes. Il a fait toutes ses actions dans un désir sincère de plaire à Dieu et non content de travailler à la guérison de nos âmes, il a voulu encore opérer celle de nos cœurs, et pourvoir à tous nos besoins.

Les Sœurs feront tous leurs efforts pour entretenir en elles cette divine vertu. Elles la pratiqueront envers Dieu, s’attachant avec une fidélité inviolable à l’observation la plus exacte des maximes de l’Évangile, des préceptes de l’Église et des promesses de leur baptême. Et bien persuadées qu’elles doivent être que les pratiques extérieures de piété nous y conduisent, elles se rendront assidues à tous les exercices de religion qui se feront dans leur Paroisse, et à tous les points que prescrit le Règlement.

Elles la pratiqueront envers le Prochain, et pour cela elles rendront les services corporels et spirituels aux pauvres malades de la campagne ou des hôpitaux dont elles seront chargées.

Elles s’emploieront à enseigner aux petites filles les vérités et les maximes de la Religion avec la lecture, l’écriture et les travaux qui peuvent convenir à leur état.

Elles feront dans leurs maisons pour les personnes qui seraient plus avancées en âge, des lectures et des conférences familières sur les choses nécessaires au salut, et elles recevront dans leur maison celles qui désireraient faire des retraites. […]

Annexe 2. Reglemens X

La lecture est un des exercices de piété auquel les personnes de la communauté ne doivent jamais manquer. L’homme, dit notre Seigneur (Mt 4,4) ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Saint Athanase estime la lecture si nécessaire à une personne qui veut marcher dans la voie de Dieu, que vous n’en verrez aucune, dit-il dans ses exhortations, être véritablement attachée à son service, qui ne soit adonnée à la lecture. Saint Augustin ne s’en explique pas avec moins de force (Ep. Ad Virg. Denutriad. 143). Lisez l’Écriture sainte de manière que vous vous souveniez toujours que toutes les paroles qui y sont, sont autant de paroles de Dieu, qui veut, non seulement qu’on sache sa loi, mais aussi qu’on l’accomplisse. Cette divine lecture, selon saint Ambroise, est la vie de l’âme, et c’est ce que le sauveur a voulu nous apprendre, lorsqu’il nous dit dans saint Jean que ses paroles sont esprit et vie.

les sœurs veulent donc vivre de la vie spirituelle, marcher dans les voies de Dieu, et s’embraser tous les jours de plus en plus du feu de son amour, qu’elles ne laissent passer aucun jour sans y donner le temps marqué. Le vrai moyen d’en profiter, c’est de nous appliquer à nous-mêmes ce que nous lisons. Vous ferez un bon usage de l’Écriture sainte, disent saint Augustin et saint Grégoire (Auge p. 143 ad eandem), si vous vous en servez comme d’un miroir, afin que votre âme s’y regardant se corrige de ce qu’elle a de mauvais, et qu’elle perfectionne ce qu’elle peut avoir de bon. Ce que ces saints disent de l’Écriture sainte doit aussi s’appliquer à toutes sorte de lecture spirituelle, puisque ces livres ne contiennent que les mêmes vérités, que ces saints se sont efforcés de nous rendre plus sensibles. Ces instructions sont pour toutes sortes de personnes ; mais elles touchent les sœurs de plus près. L’un des principaux devoirs de leur état est d’instruire la jeunesse, faire des conférences spirituelles aux personnes de leur sexe, plus avancées en âge, non seulement pour les retirer des désordres et de l’ignorance où les passions les auraient plongées, mais encore pour les faire avancer dans leur salut. Et comment y réussiraient-elles, si elles n’étaient pas remplies des vérités que contiennent les livres de piété ?

Ces conférences se feront tous les dimanches et fêtes, tant dans la communauté que dans les paroisses, sur la lecture qui aura précédé. Les sœurs qui seront chargées de parler s’attacheront à ce qui aura été lu, et elles se contenteront de l’inculquer avec simplicité, évitant avec soin la vanité, et ne recherchant en tout que la gloire de Dieu et le bien du prochain. (R. X)


[1] On se souvient que les œuvres de miséricordes corporelles, au nombre de sept, reprennent notamment le chapitre 25 de l’évangile de Matthieu : Donner à manger aux affamés, Donner à boire à ceux qui ont soif, Vêtir ceux qui sont nus, Accueillir les étrangers, Assister les malades, Visiter les prisonniers, Ensevelir les morts. Mais ces sept œuvres sont complétées par les œuvres spirituelles, au nombre de sept également : Conseiller ceux qui sont dans le doute, Enseigner les ignorants, Avertir les pécheurs, Consoler les affligés, Pardonner les offenses, Supporter patiemment les personnes ennuyeuses, Prier Dieu pour les vivants et pour les morts.

[2] Nicolas Berdiaev, De la destination de l’homme, essai d’éthique paradoxale, Lausanne, L’Age d’Homme, 1979, p. 361-363.

[3] Michel de Certeau, La Faiblesse de croire, Paris, Seuil, 2003, p. 119-120.