Sr. Nícida Amparo Díaz: « La justice sociale, la non-violence et la paix »

on 26 Juil, 2020
Affichages : 1748

TÉLÉCHARGER EN PDF: 

3. FR Sr. Nícida Amparo Díaz Download

Par SR. NÍCIDA AMPARO DÍAZ LEAL* (VENEZUELA).- Une relecture de la spiritualité et du charisme de Marie Poussepin, aujourd'hui. ans la spiritualité de Marie Poussepin, aujourd'hui, il est important de souligner une nuance pertinente. C'était une femme qui vivait au rythme de l'Esprit. Nous savons que la spiritualité n'est rien d'autre que « ...l'art de prêter attention à l'Esprit Saint1 ». Vivre la spiritualité de ce point de vue, c'est devenir un don pour les autres. C’est cela la spiritualité de Marie Poussepin, elle s'est fait don pour les autres, et « passait en faisant le bien » (Actes 10, 38).

La spiritualité de Marie Poussepin est une spiritualité opérante qui la conduit à faire le bien et à être en recherche permanente de la volonté de Dieu. Cette affirmation : « Elle a vu ce qui est juste aux yeux de Dieu et l'a accompli », nous révèle une femme d'une fidélité profonde et exquise à la volonté de Dieu. Voir ce qui est bon, ce qui est juste aux yeux de Dieu et l'accomplir, c'est découvrir des situations et des événements au-delà des apparences, traduire en actes ce qui a été découvert et convertir la parole en action.

Marie Poussepin découvre que tout ce qui vient de Dieu nous fait du bien, nous humanise et nous convertit à partir d'un triple mouvement : vers Dieu, vers nous-mêmes et vers les autres, y compris l'écologie ; c'est la dynamique de la justice sociale, de la non-violence et de la paix, à savoir un mouvement continu de conversion qui implique des relations fraternelles, justes et inclusives; des relations qui humanisent la personne et en même temps l'environnement , notre maison commune où nous partageons la vie et la mission.

Si elle vivait au rythme de l'Esprit de Dieu et cherchait continuellement la volonté de Dieu, sa vie se déroulait au rythme de la justice sociale, de la non-violence et de la paix. En elle s'accomplissent les Béatitudes de la justice, de la douceur et de la paix (Mt 5, 6.10.4.9). 

La justice sociale et la charité

La justice sociale, dans la spiritualité de Marie Poussepin, trouve son fondement dans la Charité inspirée en Jésus, qui est totalement inconditionnelle, la charité mutuelle doit être régie par celle que Jésus-Christ a pour les hommes2.

La justice sociale nous conduit à reconnaître la personne dans sa dignité fondamentale ; nous sommes tous, les enfants d'un même Père, parce que « Dieu nous a choisis pour être ses enfants avec la même origine et la même destinée, avec la même dignité, avec les mêmes droits et devoirs vécus dans le commandement suprême de l'amour... » L'amour miséricordieux pour tous ceux qui voient leur vie violée dans l'une de ses dimensions 3.

Regarder Marie Poussepin sous l'angle de la justice sociale, c'est la relire comme « l’apôtre social de la charité ». Face à la misère humaine, à la maladie et à l'ignorance, elle n'hésite pas à donner sa vie à Dieu afin de le servir auprès de ses frères et sœurs les plus pauvres. En elle, il n'y a pas de dualisme : « Un seul regard contemplatif l'engage à parler à Dieu ou de Dieu, dans une charité pleine de miséricorde et de compassion » 4.

Chez Marie Poussepin, les valeurs comme l'honnêteté, le dévouement, l'amour du travail, l'engagement paroissial, les responsabilités sociales, reçues pendant son enfance et sa jeunesse, grandissent à la mesure de son expérience contemplative de Dieu et de la dure réalité historique dans laquelle elle vivait. « Être avec Jésus nous forme à un regard contemplatif sur l'histoire, qui sait voir et écouter en toutes choses la présence de l'Esprit et, de façon privilégiée, discerner sa présence pour vivre le temps, comme un temps de Dieu » 5.

Elle est « l’apôtre sociale de la charité » car son objectif est d'annoncer l'Evangile à partir d'un engagement pour la justice sociale. Ainsi la retrouve-t-on à Dourdan, en 1685, révolutionnant le travail textile, remplaçant le tissage manuel par des métiers à tisser et introduisant des clauses sociales dans les contrats d'apprentissage ; elle abolit la taxe d'apprentissage, onéreuse pour la famille des apprentis ; elle assure une formation au travail, et contribue ainsi à la prospérité économique de la ville, favorisant le progrès industriel et la promotion des jeunes par l'éducation et le travail.

A Sainville, Marie Poussepin, totalement dévouée aux plus pauvres, fait construire une maison où elle accueille des jeunes filles de la campagne pour leur apprendre à lire, à écrire et à vivre de manière chrétienne. « Avec l'objectif d’y choisir des enseignants pour les campagnes où elles sont demandées... Elle cherche à sortir les jeunes filles de la campagne, les personnes sans asile et sans ressources, de la mendicité, en leur procurant un travail qui leur permet de gagner leur vie avec dignité » 6.

« De notre foi dans le Christ fait pauvre, et toujours proche des pauvres et des exclus, naît le souci du développement intégral des plus abandonnés de la société » 7.

Sa charité créative, audacieuse et organisée et son expérience dans la promotion du travail l'engagent à trouver des moyens accessibles pour permettre à chacun de gagner sa vie de manière décente, sans être un fardeau pour personne. 

Ce service de charité est aussi une participation aux efforts visant à modifier les structures de la société ou à en créer qui permettent la promotion intégrale de tant d’hommes et de femmes.

C'est pourquoi notre spiritualité, comme celle de Marie Poussepin, doit se retrouver dans la charité, car c'est l’âme, la motivation décisive de la promotion personnelle et sociale... une charité efficace qui conduit au choix de moyens sociaux, culturels, économiques et politiques favorables à la libération des pauvres 8 .

L'Eglise ne peut et ne doit pas rester en marge de la lutte pour la justice...La pensée de l'Eglise est avant tout positive et déterminée, oriente une action qui transforme, et en ce sens elle ne cesse d'être un signe d'espérance qui jaillit du cœur aimant de Jésus-Christ...guidée par l'Evangile de la miséricorde et pour l'amour de l'homme, elle entend le cri de la justice et veut y répondre de toutes ses forces 9.

Marie Poussepin, témoin de la non-violence et de la paix

L'Esprit lui a permis de rester en présence de Dieu. Par conséquent, à partir de son expérience spirituelle, elle invite ses sœurs en communauté à vivre dans cette présence divine : Conservez la présence de Dieu dans toutes vos actions 10.

Qui vit en présence de Dieu et le conserve dans toutes ses actions ne peut qu'être un témoin de la non-violence face à un monde fracturé, où la violence est imposée comme mode de vie pour survivre et exceller au prix de la dignité humaine. La violence est un mal ; elle est inacceptable en tant que solution aux problèmes ; elle est indigne de l'homme. La violence est un mensonge car elle va à l'encontre de la vérité de notre foi, de la vérité de notre humanité ; la violence détruit la dignité, la vie, la liberté de l’être humain.11

La violence est une insulte à Dieu car sa dynamique de relation est la déshumanisation et donc la destruction de ce qui est le plus sacré pour Dieu, l'être humain créé à son image et à sa ressemblance, béni par lui et créé pour accompagner ses semblables (Gn 1, 27-28 ; 2, 18).

De cette vision, nous évoquons l'invitation que nous fait Marie Poussepin à créer des relations fraternelles pleines de charité, car c'est la seule façon de faire face aux relations engendrées par la violence qui « bannit la charité, étouffe l'esprit primitif et devient désespérément corrompue...ces relations sont un perpétuel germe d'envie, de suspicion, de méfiance, d'inimitié...elles donnent lieu à des divisions, elles ne font que du mal au prochain12.

La violence aveugle le cœur et engourdit les entrailles, elle nous rend incapables d'écouter la question que Dieu nous pose face aux réalités les plus dures de la vie : Où est ton frère ? Gn 4,9.

Marie Poussepin est le témoin d'une époque où la violence était le pain quotidien dans toute son expression ; elle se propose d'accueillir la vraie charité en rendant possible l'œuvre que la Providence lui a confiée. Mue par l'Esprit, elle a reconnu à chaque instant l'action qu'elle devait entreprendre : elle offre un travail à ses apprentis ; elle aide les jeunes femmes à sortir des conditions de vie les plus difficiles ; et elle donne à l'Eglise une communauté, avec la nouveauté du moment, pour qu'elle puisse continuer et l'exercice de la Charité dans le monde.

Les Règles Générales pour la conduite des sœurs de la communauté de Sainville, résument la charité qui a accompagné Marie Poussepin, faisant d'elle un témoin de la non-violence et de la paix : « Soyez douces dans vos paroles, simples dans vos discours... Soyez pleines de charité... Ayez beaucoup de tendresse et de vigilance à l'égard des filles que vous éduquez... Soyez douces sans lâcheté, ferme sans dureté, grave sans hauteur, corrigez dans emportement Ayez beaucoup de prudence et de patience, une grande bonté et une singulière modestie... »13

La non-violence, un chemin vers la paix

« Une bonne compréhension de la spiritualité consiste en partie à élargir notre compréhension de la paix, qui est bien plus que l'absence de guerre. La paix intérieure a beaucoup à voir avec le souci de l'écologie et du bien commun, car authentiquement vécue, elle se traduit par un mode de vie équilibrée et à une capacité d'admiration qui conduit à une profondeur de la vie 15 »

Marie Poussepin était une femme de paix. « Bienheureux ceux qui cherchent la paix parce qu'ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9) ; elle était une fille de Dieu, qui vivait abandonnée à la Providence, travaillant à accomplir tout ce qu'elle pouvait et demandant avec insistance ce qu'elle ne pouvait pas encore (Cf. Règles générales.). Elle ne désespère pas; pleine de confiance en Dieu elle n’use d’aucun effort pour donner à sa communauté une solidité et un esprit qui peuvent la maintenir en vie à travers le temps...elle fait suffisamment confiance à la Providence de Dieu pour croire que ses filles ne manqueront pas du tout de l'aide nécessaire, tant qu'elles seront fidèles à ses règles et assidues au travail. Elle savait que la première chose à faire était de chercher le Royaume de Dieu et sa justice : accueillir les pauvres filles sans asile et sans ressources, être utile aux pauvres malades des campagnes, et enseigner aux jeunes filles des campagnes, le catéchisme, leur apprendre à lire, à écrire et à travailler 16, tout le reste s’y ajouterait (Cf. Mt 6,33).

Aujourd'hui, nous relisons Marie Poussepin de cette manière : Un style de vie équilibré, d'une paix intérieure profonde et promotrice de la justice sociale et de la non-violence ; tout cela, fruit d'une spiritualité soutenue qui, aujourd'hui encore, continue d’inspirer ses filles, et a tant de personnes de bonne volonté qui soutiennent et entretiennent par leur témoignage de vie, cette œuvre de la Providence.

Des lignes directrices pour notre réflexion personnelle et communautaire 

1. Après lecture et réflexion du thème, partageons :

Qu’est ce qui retient mon attention ? (Ce qui attire fortement mon attention et me questionne).

Qu’est ce qui ne fait que du bruit dans mes oreilles ? (Ce qui ne m'importe pas et me laisse indifférent).

Qu'est-ce qui résonne en moi ? (Ce à quoi j'ai déjà réfléchi, je me suis interrogé, et qui maintenant se confirme en moi).

2. Par rapport à la réalité que nous vivons ces jours-ci :

Aujourd'hui, nous vivons une réalité qui a profondément blessé l'humanité, la Covid-19. Sans aucun doute, cet événement nous laissera avec une lecture qui, à la lumière de l'Evangile et de notre Charisme, nous mettra sur la voie pour répondre à la manière de Marie Poussepin, et pour témoigner de l'amour de Dieu, en apportant à tous l'espérance qui habite nos cœurs.

Nous pouvons alors nous poser la question suivante :

Qu'est-ce que Dieu veut me dire aujourd'hui avec la relecture de la Spiritualité et du Charisme de Marie Poussepin et spécifiquement en lien avec la justice sociale, la non-violence et la paix ?

Sœur Nícida Amparo Díaz Leal, Sœur vénézuélienne de la province d'El Caribe, est théologienne et travaille comme professeur à l'Institut de théologie des religieux et au Centre d'études de formation initiale des religieux. Elle fait partie de la communauté du noviciat et accompagne le processus de formation chrétienne des communautés du quartier.


1 RUPNIK M., Dans le feu du buisson ardent P.P.C., Madrid 1998, 43.
2 Marie Poussepin.  Règlements II.
3 Document d'Aparecida. Nos 382 et 384
4 Sœurs de la Charité dominicaines de la Présentation La Formation dans la Congrégation "Ratio Formationis", Typographie du Vatican, Rome 1996, 11.
5 Pape François. Réjouissez-vous. Lettre circulaire aux personnes consacrées. 2014. P. 32
 6 Sœurs de la Charité dominicaine de la Présentation, Règles générales, 10
7 Pape Francois, Exhortation apostolique : Evangelii Gaudium. N° 183. 2013.
 8 Galilée. S. Le Chemin de la Spiritualité, 51.
 9 Pape François. Exhortation apostolique : Evangelii Gaudium. N° 183 188
 10 Sœurs de la Charité dominicaine de la Présentation, Constitutions, Typographie du Vatican, Rome. 1990. 180.
11 (Doctrine sociale de l'Église, p. 301-302).
 12 Marie Poussepin. Règlements II
 13 Marie Poussepin. Règles Générales
14 Pape François, Lettre encyclique : Laudato Si, n° 225
 15 Lettres de la N.V.M. Marie Poussepin. Page 5, 15
16 Lettres de la N.V.M. Marie Poussepin. Pág. 13.