Sr. Olga María Botia : « La justice sociale, la non-violence et la paix »

on 25 Juil, 2020
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Par SR. OLGA MARÍA BOTIA SÁNCHEZ* (COLOMBIE).- « Et comme ayant disposé de tout ce qui pouvait m’appartenir, ne m’ayant rien réservé, je ne possède rien », Marie Poussepin, Testament

« Solidaires des plus pauvres, dans la recherche de la justice,
nous luttons à leurs côtés contre la misère, l’ignorance et la maladie,
jusque dans leurs causes profondes,
pour vivre avec eux l’Evangile ». C 27

En cette Année de Grâce des 25 Ans de la Béatification de Notre Mère Fondatrice, la proposition du Gouvernement général d’une réflexion sur le thème « Justice Sociale, Non-Violence et Paix », est à la fois un défi et une opportunité pour approfondir la Vie et le Charisme d’une femme fascinante que j’ai admirée dès mon premier contact avec la Congrégation, avec laquelle je me suis identifiée et que j’ai essayé de faire connaître avec simplicité à travers la mission que j’ai réalisée.

Le cœur du travail de Justice et Paix puise ses racines dans le récit de Luc (4,18) sur la mission principale que Jésus proclame dans la Synagogue de Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a consacré pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue ; rendre la liberté aux opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur ».

L’attitude de Jésus est prophétique. Il reprend le texte d’Isaïe, le fait sien et par conséquent nouveau, base de son projet du Royaume de vérité, d’amour, de justice vers la paix.

Les Documents de l’Eglise signalent que du point de vue théologique la justice est le fruit de l’Esprit et trouve son fondement dans l’amour. L’Esprit est amour : là où il y a amour il y a justice et la justice ne peut se faire sans amour. L’amour, « la loi fondamentale de la perfection humaine et, en conséquence de transformation du monde », n’est pas seulement le commandement suprême du Seigneur ; il est aussi le dynamisme qui doit amener les chrétiens à réaliser la justice dans le monde, ayant pour fondement la vérité et pour signe la liberté ».

« La justice considérée comme vertu spéciale, distincte des autres vertus morales, est définie comme : Une volonté ferme et constante de donner à chacun ce qui lui est dû. Considérée en relation envers Dieu et le prochain, sans aucun doute Marie Poussepin l’a pratiquée parfaitement, vu que, depuis sa plus tendre enfance, elle a manifesté un profond respect de Dieu, le projetant en amour et service de charité.

Elle s’est toujours montrée prévenante pour accomplir ses devoirs de religion envers Dieu, pour obéir à ses préceptes, lui rendre les hommages qui sont dus à sa Divine Majesté ».

Regarder notre Fondatrice à la lumière de la Justice, de la Non-Violence et de la Paix, c’est voir une personne droite, inspirée par la Loi de Dieu, qui agit selon sa volonté à Lui, à l’exemple de Jésus. Cette expérience elle nous la fait connaître dans les Règlements et nous la lègue comme Charisme.

Dans une réflexion sur ce thème Sœur Mary Plata Cordero, disait : « nous ne trouvons dans ses écrits ni une explication conceptuelle de ce qu’est la justice, ni une énonciation des devoirs que cette vertu impose, mais les faits de sa vie nous parlent, comme fille, sœur, responsable de l’usine, fondatrice et supérieure ».

L’enfance et la jeunesse de Marie Poussepin ont été baignées dans l’ambiance chrétienne du foyer familial, dévouée aux pauvres de la Confrérie de la Charité, en contact direct avec les malades. Elle a appris la justice dans le foyer, s’est laissé interpeler par son entourage souffrant et vulnérable et n’a pas douté pour « passer de Dourdan à Sainville ». La solvabilité économique qui a caractérisé sa Famille ne l’a pas éloignée des besoins de son prochain et motivée par l’esprit de Saint Vincent de Paul, et l’amour de Jésus-Christ, le « Seigneur de la Charité », elle a exercé cette vertu divine naturellement. « De 1675 à 1691 elle a été attentive à ses responsabilités dans la Confrérie de la Charité, comme dans la direction du foyer familial ou encore pour la bonne réussite des transformations de son entreprise, sans dispersion aucune. Nous la voyons aussi à travers la multiplicité des fonctions auxquelles elle devait répondre pour la marche de sa communauté de Sainville ».

En justice sociale et cohérente avec son désir d’opter en faveur des plus pauvres de son époque, elle a choisi comme centre pour commencer son œuvre non pas une ville prospère, mais Sainville, simple village, où la misère était grande .

Avec intelligence pratique elle a su faire le bien, procurer des outils, des moyens et du confort aux jeunes de la campagne et les a préparées à exercer la charité là où elles étaient envoyées.

« Suivre Jésus-Christ selon le Charisme, implique de vivre une spiritualité incarnée, qui mène à considérer la réalité comme lieu de manifestation et de rencontre avec Dieu, à développer une attitude contemplative capable d’écouter sa voix dans la vie concrète, à découvrir son visage en chaque personne, tout particulièrement dans les personnes les plus défavorisées ».

Sa justice rayonne dans les prescriptions de sa Règle qu’elle a pratiquée avec les sœurs, durant 40 ans avant de la faire approuver, et dans les dispositions et conseils qu’elle donne à ses Sœurs.

Elle exhorte les sœurs maîtresses à ne pas moins se dévouer aux fillettes pauvres qu’aux riches, son mobile est l’amour, la charité surnaturelle, puisqu’elle prend l’exemple de Dieu lui-même. « Les sœurs qui seront employées aux écoles se souviendront qu’elles sont obligées de s’acquitter de leur devoir à l’égard de l’instruction et de l’éducation de la jeunesse, non seulement par charité, mais encore par justice ».

Aux sœurs infirmières : « Rendez service aux malades avec de grands témoignages de charité et sans faire paraître aucun dégoût. Tâchez d’être encore plus utiles, si vous le pouvez, au bien de leur âme qu’au soulagement de leur corps. Les Sœurs veilleront joindre l’assistance spirituelle aux soins corporels des malades » . « Il faut que l’infirmière soit charitable et que sa charité s’étende sur toutes les Sœurs, sans exception de personne… » .

Marie Poussepin a véritablement pratiqué la vertu de justice à un niveau héroïque, en ce qui concerne Dieu et son Eglise, sa famille et ses sœurs, en un mot elle l’a pratiquée envers tous.

La justice sociale en Marie Poussepin est une manière d’agir laissant transparaître la présence de Dieu, en se laissant envahir par Lui pour toujours mettre en œuvre le bien et vivre les exigences du quotidien.

L’Ecriture Sainte nous dit que : « la femme forte ouvre sa main au misérable et qu’elle la tend au pauvre ».

Chez notre Fondatrice nous pouvons trouver cette femme parfaite, pleine de compassion, qui « vit ce qui était juste aux yeux de Dieu et qui l’a accompli ». Son cœur miséricordieux la pousse à une initiative de caractère social, plutôt intrépide pour son époque. Elle trace un chemin nouveau pour la femme et la religieuse de son temps. Elle accueille la spiritualité et le style de vie de Saint Dominique et propose un nouveau style de Communauté, fidèle aux traditions de l’Ordre des Prêcheurs et ouverte aux nouveaux besoins. « Sa communauté a un objectif très précis : « pour l’utilité de la paroisse, pour instruire la jeunesse et servir les pauvres malades de la Paroisse de Sainville ».

Pour Marie Poussepin le travail en matière de Justice, est un facteur de promotion humaine au service de la charité. Le travail permet de répondre aux besoins communautaires et apostoliques, « elle a suffisamment confiance en la Providence de Dieu, pour croire que ses filles ne manqueront pas des secours nécessaires, tant qu’elles seront fidèles à leurs Règles et assidues au travail ».

A Dourdan autrefois, indubitablement une « promotion humaine a été favorisée par : des causes et circonstances historiques telle la révolution industrielle ; des influences idéologiques comme le libéralisme de la libre entreprise ; des changements sociaux tel le passage de l’ère féodale à l’époque moderne ; une inspiration caritative, résultat de l’innovation du travail dans son usine en faveur des ouvriers et spécialement des jeunes apprentis ».

Depuis l’usine de bas de Dourdan jusqu’à la confection de bas dans l’atelier de Sainville on peut observer l’importance que le travail acquiert pour Marie Poussepin, , et elle nous demande avec insistance « d’être assidues au travail », « lieu de rencontre avec les frères, de dialogue interculturel, qui nous assure notre subsistance au service de la charité, de la solidarité et de la gratuité ».

Inspirée par son charisme de service, elle pénètre avec audace et miséricorde dans le monde de la souffrance humaine, pour l’imprégner de vie, par l’exercice continuel de la Charité.

« Marie Poussepin, nous rappelle surtout l’importance de la vie contemplative et de la prière qui, passionnant un homme ou une femme pour Dieu, leur permettent de se passionner pour leurs frères ».

Les Documents de la Congrégation reconnaissent notre présence en des lieux où la violence, la migration, le déplacement, les épidémies, laissent tant de misère et ils nous exhortent pour qu’à l’exemple de notre Fondatrice, nous continuions avec audace et créativité, répondant à ces nouveaux « Sainville », où l’ignorance et l’impuissance de tant de frères et sœurs requièrent notre solidarité. 

Quel est le Sainville qui m’interroge et me demande de laisser le Dourdan où je vis ?

« Bienheureux ceux qui travaillent pour la paix,
Parce qu’ils seront appelés fils de Dieu » (Matthieu 5,9)

Bienheureuse Marie Poussepin parce que toute ta vie fut donnée à Dieu au service du prochain pour la cause de l’Evangile.
Bienheureuse parce que dans ta famille chrétienne, pratiquante, engagée à la Paroisse Saint Pierre, tu as appris à aimer Dieu et à servir les pauvres.
Bienheureuse par ce que tu t’es préparée pour ta mission, en contact avec la réalité.
Bienheureuse parce que tu as fondé une communauté pour le service de l’Eglise, avec des jeunes filles orphelines de la campagne et très pauvres .
Bienheureuse par ce que tu as enseigné le travail aux jeunes, pour qu’ils puissent gagner leur pain dignement .
Bienheureuse parce que, comme Apôtre Social de la Charité, en avance sur ton époque, tu as établi des contrats de travail pour préciser les droits et les devoirs des travailleurs et les devoirs qui étaient les tiens comme propriétaire de l’usine…
Bienheureuse parce que tu as construit un « puits » près duquel beaucoup de personnes se sont approchées pour calmer non seulement la soif matérielle, mais aussi étancher la soif de spiritualité.
Bienheureuse par ce que tu nous parles de pardon mutuel et de correction fraternelle .
 

La Congrégation, suivant l’exemple de sa Fondatrice, a été au service de la paix et de la justice et, la paix étant toujours menacée et la convivialité humaine tendant toujours à être fracturée, elle a cherché comme tâche permanente à contribuer à la construction de la justice et de la paix, 

Le Chapitre Général de 1999 de manière explicite nous dit :

 « La défense des droits humains et l’option « JUSTICE ET PAIX », fait partie, tant de notre consécration que de notre mission en vie dominicaine ».

 « Nous voulons répondre à nos sociétés marquées par la violence, la pauvreté, l’injustice et la maladie ».

 Il précise quelques exigences, parmi lesquelles :

• « Ouverture à la conversion, formation et risque.
• Solidarité effective avec les plus faibles.
• Utilisation adéquate des moyens de communications sociales »

Le Chapitre Général de 2014 invite à :

 Fortifier la présence missionnaire dans les lieux périphériques.

 Assumer et donner une nouvelle impulsion à l’option Justice et Paix, l’engagement face à la vie, la formation en bioéthique et la sauvegarde de l’environnement.

 Privilégier nos choix missionnaires dans les périphéries existentielles ou géographiques « Là où la vie nous appelle ».

Le Chapitre Général de 2019 mentionne :

 « La réalité du monde et de l’Eglise, avec ses ombres et ses lumières, crie chaque jour par de nouveaux visages, de nouveaux besoins et de nouvelles nécessités qui nous poussent à penser d’autres engagements. Le grand défi est de répondre par notre vie et nos actes à tout ce qui peut restaurer la dignité humaine, en dénonçant tout abus qui menace la vie, par des actions déterminées de justice et de paix défendant la vie, comme la sauvegarde de la maison commune » .

Célébrer cette Année de Grâce des 25 ans de la Béatification de Marie Poussepin « Apôtre Social de la Charité », dans un contexte d’incertitude dû à la pandémie du Coronavirus qui nous a imposé un style de vie de « confinement », est le « temps favorable » à travers lequel nous pouvons expérimenter le passage de Dieu dans nos vies et nous demander :

Que ferait Marie Poussepin à ma place ?

Quels gestes concrets de Justice et de Paix, sommes-nous appelées à réaliser ?

Jésus nous donne sa Paix, laissons-nous habiter par Lui. Nous sentons qu’Il est dans nos communautés locales, parce que celles-ci sont « des maisons et écoles de communion » , des espaces de dialogue, où se vit et se construit la fraternité ; des lieux où nous rêvons et discernons pour que « notre projet de vie évangélique soit toujours cimenté par la justice » .

Que durant cette année de Grâce, guidées par l’Esprit Saint, nous renforcions l’engagement d’être constructrices de paix, par des gestes et des paroles dans nos communautés locales, et que nous assumions le défi de vivre la justice au quotidien. 

*Sr. Olga María Botía est une sœur colombienne de la Province de Santafé, qui après avoir vécu 20 ans au Chili est rentrée en Colombie depuis 12 ans. Travailleur Social, elle collabore actuellement dans l’équipe de Sécurité et de Santé pour le travail de la Province et est coordinatrice de Justice et Paix de la structure.


BIBLIOGRAPHIE

- Marie Poussepin : Règles Générales, Règlements de Sainville, Lettres de N.V.M. Marie Poussepin
- Préteseille Bernard : « Marie Poussepin ou l’exercice de la charité »
- Constitutions. L’Intuition Première
- Positio.
- Marie Poussepin et sa Communauté. Le service de l’autorité. Tours 1996
- Documents des Chapitres Généraux : 1999, 2004, 2009, 2014, 2019
- Document du Conseil Général Elargi, 1998
- Sr. Mary Plata Cordero. « Réflexions sur quelques dimensions du charisme », 2003
- Sr. Fanny Yolanda Barrantes. Message d’Ouverture de la rencontre Interprovinciale des déléguées de Justice et Paix. Province de Bogota, 2017
- Oñoro Consuegra, P. Fidel. « Réflexion sur les Bienheureuses. Dans les Bras du Père »
- celam.org/documentoconclusivo_medellin. Page 4
- celam.org/documentoconclusivo_puebla. Page 8
- Jean-Paul II. Lettre Apostolique Millennio Ineunte, 2001. N° 43